20 nov. 2013

La triste histoire d'un réseau Buckmaster en Anjou


Cette page est rédigée à la suite de l’hommage rendu au Puy-Notre-Dame (Maine-et-Loire) à Jules Raimbault le 11 novembre 2013.

Cliquer sur les documents pour les agrandir.
Jules Raimbault. Dans ses caves, au Puy-Notre-Dame, fut cachée une partie des armes parachutées par les alliés en juillet 1943.

Si, pendant très longtemps, les sources de sa dénonciation ont été controversées – voir Le Courrier de l’Ouest du 13 novembre 2013 – nous ne pouvons plus le dire maintenant, après de longues années d’enquête et la découverte des archives de la Gestapo.
C’est vrai qu’il a été longtemps dit, et je l’ai moi-même entendu au début de mes recherches, que les hommes qui avaient réceptionné les armes avaient été arrêtés parce que, dans l’euphorie de la réussite ou sous l’emprise de la boisson, ils s’en étaient vanté aux Allemands. Il n’en fut rien, et l’on peut aujourd’hui reconstituer une chronologie du drame vécu par Jules Raimbault et ses camarades.
Tous faisaient partie d’un réseau Buckmaster, comme il y en avait quasiment dans chaque département. Celui du Saumurois s’appelait Aristide Buckmaster, pour les différencier, les réseaux ayant emprunté le prénom de leur chef ; Aristide pour Aristide Royer, capitaine de gendarmerie à Saumur, pour celui qui nous intéresse. Entre La Flèche et Le Mans (Sarthe), sur le bord de la route à la sortie de Cérans-Foulletourte, un monument rend hommage aux victimes du réseau Hercule-Sacristain Buckmaster.
Constitués au printemps 1943, ces réseaux anglais recrutaient des hommes – généralement des notables, comme Gaston Amy, l’ancien maire de Montreuil-Bellay, des commerçants ou des chefs d’entreprise – à qui l’on demandait de réceptionner des armes parachutées par les alliés, armes qui devaient être cachées jusqu’au débarquement.

Dans le Saumurois, le parachutage eut lieu le soir du 13 juillet, et les conteners tombèrent dans des rangs de vigne à Montfort, derrière la ferme des Vitré.

Les armes, transportées par le camion du camp de concentration de Tsiganes de Montreuil-Bellay, furent entreposées dans des caves à champignons de Jules Raimbault, à la sortie du Puy-Notre-Dame, et chez Eugène Deschamps, à Montreuil.


Les arrestations en septembre et octobre 1943

La première arrestation eut lieu le 17 septembre au soir : celle du chef du réseau. Puis, le lendemain matin très tôt, ce fut celle de Jean Renard, sous-directeur du camp et chef de la section de Montreuil/Doué du réseau. Puis ce furent celles des principaux acteurs – les hommes chez qui avaient été cachées les armes, le chauffeur du camion, et les gendarmes qui avaient surveillé les routes le soir du 13 juillet. Enfin, dans la nuit du 8 au 9 octobre, furent interceptés les autres membres. Rares furent ceux qui avaient réussi à s’enfuir avant. Préciser ici que les gendarmes furent pour la plupart libérés peu après leur arrestation. Pierre Letort, chef de la brigade de Montreuil-Bellay avait réussi à s'enfuir avant les arrestations ; Altève Boissée, 50 ans, chef de la brigade de Doué-la-Fontaine, arrêté, a disparu dans les camps nazis.
Que s’était-il passé pour que ce réseau, en même temps que les autres, fût démantelé ? Au cours de l’été, le responsable national des réseaux Buckmaster, installé dans la région bordelaise, avait été localisé par la Gestapo qui avait deviné que son métier d’agent d’assurance n’était qu’une couverture. Une perquisition à son domicile permit de découvrir une liste d’assurés qu’il fut facile d’identifier comme étant les chefs des réseaux départementaux. Ces derniers furent identifiés, surveillés et tous arrêtés le 17 septembre au soir. La suite est facile à comprendre…
Pour les Angevins, ce fut la prison du Pré-Poigeon, à Angers puis, fin décembre et début janvier 1944, la déportation dans les camps allemands où la plupart disparurent.

Tant pis pour les vaincus, ces héros morts deux fois

La mort de Jules Raimbault fut particulièrement dramatique pour sa famille. Au début des années 1990, j’ai rencontré sa fille, Jeannine, épouse Sauvêtre. Elle m’a dit qu’été 1945, après la fin du conflit armé, deux hommes s’étaient présentés chez eux pour annoncer que leur époux et père allait bientôt rentrer. Ils se sont invités tous les deux à manger et je leur ai donné des provisions et des champignons, m’a-t-elle confié. Ils ont profité de notre douleur pour nous tromper. Jules Raimbault était mort depuis le 15 juillet. Le savaient-ils ???

Pourquoi toutes ces incertitudes, ces mensonges, ces rumeurs dans le Montreuillais jusqu’à la fin des années 1990, et même encore aujourd’hui si, dans la presse on s’interroge sur les sources controversées des dénonciations ?
Parce que, au cours des mois et des années qui sont suivi, on ne parla pas de ces réseaux Buckmaster, ces réseaux anglais que de Gaulle n’aimait pas particulièrement, ces derniers recrutant en France des hommes que lui-même aurait préféré voir rejoindre ses troupes Outre-Manche.
.

De plus, ces hommes avaient perdu la guerre quand ceux des maquis de 1944 allaient la gagner avec les Américains. Enfin, les rares qui survécurent aux camps étaient de pauvres épaves incapables de défendre leur misérable histoire.
Et comme en Histoire, on choisit, ce fut tant pis pour les vaincus, ces héros morts deux fois.


Ouvrage épuisé consultable en bibliothèque ou se renseigner auprès de l'auteur.


De gauche à droite et de haut en bas :
1 Aristide Royer, capitaine de Gendarmerie à Saumur, chef du réseau saumurois.
2 Armand Bidault, 54 ans ; Montreuil-Bellay ; charron.
3 Daniel Deslandes, 39 ans, Doué-la-Fontaine ; bourrelier.
4 Gaston Amy, 63 ans, industriel ; ancien maire de Montreuil-Bellay.
1 Gaston Bonnefond, 46 ans, Montreuil-Bellay ; employé dans la scierie de son frère.
2 Guy Lacaze, 36 ans ; Montreuil-Bellay ; boucher.
3 Jean Renard ; 30 ans ; sous-directeur du camp de concentration de nomades Montreuil-Bellay.
4 Jean Vitré ; 19 ans ; ne fait pas partie du réseau ; prête en voisin du site du largage des armes un tombereau attelé pour sortir les conteners tombés dans les vignes.
1 Jules Raimbault ; 40 ans ; champignonniste au Puy-Notre-Dame.
2 Lucien Bodin ; 24 ans ; inspecteur au camp de Montreuil-Bellay.
3 Lucien Dutin, 52 ans, Doué-la-Fontaine ; concessionnaire des véhicules Citroën.
4 Marcel Habert, 49 ans, Doué-la-Fontaine ; hôtelier.
1 Marcel Hervot, 44 ans, Montreuil-Bellay ; magasinier et chauffeur du camion du camp.  
2 Paul Vitré, 22 ans ; frère aîné de Jean.
3 Pierre Deschamps, 24 ans ; des armes ont été cachées chez son père Eugène qui a échappé aux arrestations. Le seul survivant à ce jour (novembre 2013).

Article paru dans le quotidien Le Courrier de l'Ouest le vendredi 22 novembre 2013.