13 janv. 2011

Polémique : Le Camp de Concentration de Montreuil-Bellay


Heurs et malheurs de l’étude 
des camps de concentration français
pour Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale


Au tout début des années 1980, alors que j’avais acheté une maison dans la commune en juillet 1971 et que je l’habitais depuis 1973, j’ai découvert fortuitement qu’un camp de concentration – selon la terminologie de l’époque – avait sévi sur le territoire de ma commune de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire) de 1940 à 1945, et que ce camp avait, en particulier, interné des Tsiganes que l’administration appelait « nomades » depuis la loi du 12 juillet 1912.
Passionné par l’Histoire, à la suite d’un séjour de sept années au Maroc comme enseignant, années pendant lesquelles j’avais étudié celle du pays ainsi que la religion musulmane, je me suis intéressé à ce camp alors que je venais de publier un ouvrage sur les Guerres de Vendée, sur une bataille qui avait, dans la soirée du 8 juin 1793, opposé les Bleus (les Républicains) et les Blancs (l’Armée Catholique et Royale) dans les faubourgs de ma ville.
Après la rencontre de nombreux témoins – très nombreux à cette époque – je décidai de faire éditer mes travaux. Mais les maisons d’édition que je contactai n’étaient pas intéressées par un livre dont les victimes – que les éditeurs disaient illettrées - n’achèteraient pas, et que les médias refuseraient parce que j’accusais la France de cette forfaiture.
J’eus alors la chance d'être aidé par les éditions Wallâda pour sortir en 1983 une première version de mon travail. Françoise Mingot, directrice des éditions Wallâda assuma ensuite trois autres éditions, la dernière en avril 2011, avec comme titre : Des Barbelés que découvre l’Histoire. Un camp pour les Tsiganes… et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1946, préfacée comme la seconde par Alfred Grosser.

Les heurs.
* La rencontre, donc, de nombreux acteurs et témoins encore vivants, et surtout de Jean-Louis Bauer, dit Poulouche, qui avait connu plusieurs camps avant celui de Montreuil-Bellay et après celui de Jargeau (Loiret) dont il fut libéré avec sa mère et un bébé la veille de la Noël 1945 ; et de Jean Richard, dit Jean-Jean, qui, depuis trente années, m'accompagne dans mes recherches et mes conférences. Tous deux me permirent d’entrer dans leur famille, un grand privilège quand on sait qu’il est très difficile de recueillir, pour un gadjo – un non Tsigane – des témoignages sur des événements douloureux qu'ils ont le plus souvent tus. 

 Poulouche à Montreuil-Bellay en avril 2000.

Tchopa et Jean-Jean sur les ruines d'un réfectoire du camp.

* La rencontre à Douarnenez (Finistère), en septembre 1983, lors du Festival des minorités, cette année-là sur les Tsiganes, de Mattéo Maximoff et de Gérard Gartner, et surtout de Pierre Dassau, qui travaillait au ministère de la Culture et qui m’a ouvert de nombreuses portes. Grand collectionneur d’archives, il m’a prêté, parfois même donné, de précieux documents. Lors d’un procès pour plagiat, une romancière ayant « emprunté » mot à mot de nombreux passages de mon ouvrage pour écrire un roman sans jamais me citer, il a demandé à un parent avocat de me défendre gratuitement. J’ai gagné le procès et bénéficié, un samedi midi de juin 1984, d’un passage au journal télévisé d’une grande chaîne nationale, et de plusieurs autres à FR3 régionale, stations du Mans et de Nantes.

 

* Deux prix littéraires

En 1984, la première édition de mon ouvrage, Un camp pour les Tsiganes... et les autres, Montreuil-Bellay 1940-1945, publiée en juin 1983 chez Wallâda, fut récompensée deux fois en 1984.
- à Paris par le prix Romanès.
- à Saumur (Maine-et-Loire), par le prix du Salon français du Livre régional.

* L'inauguration d'une stèle sur le site du camp

Le 16 janvier 1988, était inaugurée par les autorités locales et départementales une stèle commémorative sur le site abandonné du camp, tout à côté de l'ancienne prison, là où subsistent les vestiges les plus importants. C'était la première fois qu'était reconnu officiellement en France l'internement des Tsiganes/nomades pendant la Seconde Guerre mondiale. Simone Veil m'a alors envoyé un télégramme pour me remercier d'avoir révélé cette histoire. Voir ci-après dans les malheurs l'histoire de cette stèle.


L'inauguration de la stèle, le 16 janvier 1988.
Au second plan, de gauche à droite : le préfet du Maine-et-Loire ;
 Jean-Louis Bauer, ancien interné ; Albert Roux, maire de Montreuil-Bellay.

* Montreuil-Bellay, lieu mémoriel des souffrances des Tsiganes

Depuis la demande de François Mitterrand, a lieu chaque année le dernier samedi du mois d'avril devant la stèle de Montreuil-Bellay, une cérémonie officielle et nationale pour rappeler les souffrances subies par les Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale.


Jean-Louis Bauer allume la flamme du souvenir lors de la cérémonie d'avril 2005.
 
* La création, en 1995, de L'AMCT : "Les Amis de la Mémoire du Camp Tsigane de Montreuil-Bellay".

A l'initiative d'Angèle Postolle - professeure à Angers et qui avait entendu parler du camp de Montreuil-Bellay en Roumanie où elle avait enseigné, très surprise par l'état d'abandon du site qu'elle voulait découvrir à son arrivée en France - s'est créée en 1995 L'AMCT qui s'est donné comme but le sauvetage et la mise en valeur du terrain du camp qui appartenait alors à un particulier. Sandrine Renaire-Bernier, la présidente, et Jean Richard, vice-président, son oncle, tous deux Mânouches, ont eu des membres de leur famille internés à Montreuil-Bellay.
Site de l'association : http://memoire.du.camp.free.fr


Les malheurs

* Les rapports calamiteux avec "mes" maires.

Suite à ce qu'il faut bien appeler mon "invention" en 1980 de l'ancien camp de concentration qui a sévi dans ma ville pendant la Seconde Guerre mondiale, et à diverses publications pendant ces trente dernières années, un échange d'amabilités a fait le bonheur de la presse régionale. Je reprends ici les articles publiés la première quinzaine de janvier 2012.


Le Courrier de l'Ouest, le lundi 3 janvier 2011, fait du camp un événement marquant de la défunte 2010. Le soir même, pas un seul mot sur le même sujet au cours des voeux de la maire de la commune à ses administrés.

Trois jours plus tard, le quotidien publie intégralement le billet d'humeur que je lui avais envoyé :


La maire répond le jeudi suivant:



Rappelons deux amabilités de l'ancien maire parlant de moi, publiées dans la même presse régionale (de mémoire avant de retrouver les articles) :
- ... un quelconque individu qui instrumentalise les Tsiganes pour vendre quelques centimètres de papier.
- ce soi-disant historien, pour être historien, il faut avoir fait des études et avoir des diplômes.

Où l'on voit que le ton est le même avec la nouvelle maire...
En sourire si je reprends la seconde. "Soi-disant" signifierait que je me dis historien alors que je suis toujours très heureux de me présenter comme ancien instituteur. Penser à cette même insolite expression qui dirait : ce soi-disant mort... un mort qui dirait qu'il l'est !!!!

Avec une certaine opportunité, ce même jeudi 13 janvier, Le Courrier de l'Ouest publie six pages plus loin ces quelques lignes dans la rubrique Les hommes/les femmes :

Très heureux de cette polémique, puisque il est surtout important pour moi que l'on parle de ce site en danger, et lire dans la réponse de la maire "que le camp doit rester un lieu de mémoire, de recueillement" est une douce chose.
Amusant de constater l’identification de ce camp au quelconque individu qu’elle me dit être, mais peut-être eût-elle préféré écrire individu quelconque ; étonnant de lire que la seule reconnaissance de ce quelconque individu remplace la connaissance du camp.

Au-delà de la féconde polémique entre personnes non anonymes, quelques rappels :

Anecdote

On dit des "gentillesses" sur moi, du même ton - tiens, bizarre, bizarre... - que celles déjà citées ci-dessus : [Ce quelconque individu qui instrumentalise les Tsiganes pour vendre quelques centimètres de papier] ou [...ce soi-disant historien, pour être historien, il faut avoir fait des études et avoir des diplômes] alors que je me suis toujours dit instituteur.

On m'en voudrait de critiquer les Montreuillais, les disant responsables de ce camp, ce que je n'ai jamais fait. Dans cet article du Courrier, je me suis même volontairement censuré, omettant d'écrire que s'ils ont, en 2011, le droit d'oublier ce camp - la maire écrit même que la page est aujourd'hui tournée - ce camp était parfois pour certains, pendant la guerre, le but de leur promenade dominicale. Une famille m'a même rapporté qu'on attelait la charrette après le repas, qu'on y installait les enfants et qu'on allait faire un tour route de Loudun pour voir s'il y avait des nouveaux. Et comme le camp se trouvait à douze kilomètres, cela prenait tout l'après-midi. Il est vrai que les distractions étaient rares à l'époque... pas de télévision.

* Le refus de la prise en charge de l'érection d'une stèle commémorative sur le site... 

- En janvier 1988. Le support en ardoise a été offert par un couvreur de Montreuil-Bellay ; je suis allé chercher dans la carrière de Chauvigny (Vienne) la pierre en calcaire plus dure que le tuffeau local et j'ai fait graver le texte qui nous avait été imposé par les autorités, le nôtre étant alors inacceptable puisqu'il énumérait toutes les populations internées, dont des clochards nantais, des collaborateurs et, après la fin de l'occupation, des civils allemands, essentiellement des femmes, et parce qu'était précisée la responsabilité des gouvernements successifs français, de la 3ème République au Gouvernement Provisoire de la république. Fut préféré l'internement des Tsiganes "victimes d'une mesure arbitraire", et l'on avait refusé les mots "camps de concentration", pourtant ceux officiellement utilisés à l'époque... 





Commande à un particulier pour une livraison de pommes-de-terre au camp.
 (Archives privées)

... remplacés par "camp d'internement" désignant normalement l'endroit où l'on parquait des soldats vaincus à la fin d'un conflit.

Nous sommes sommes cotisés à cinq, dont Monsieur Jean Bégault, député de la circonscription, mais à titre privé, et mon éditrice, pour couvrir l'achat de la pierre et la gravure du texte.

La pierre ayant été détruite à coups de masse dans les années 1990, sans que la gendarmerie identifiât les auteurs de cette profanation, c'est la commune qui, cette fois, couvrit les frais de son remplacement.

Morceaux récupérés de la première plaque,
avec l'emplacement des lettres dans le texte présenté ci-dessous. 

« EN CE LIEU SE  TROUVAIT  LE CAMP
D’INTERNEMENT DE MONTREUIL-BELLAY
 DE   NOVEMBRE  1941  A  JANVIER  1945
PLUSIEURS MILLIERS D’HOMMES DE FEMMES
ET D’ENFANTS TSIGANES Y SOUFFRIRENT
VICTIMES D’UNE DETETION ARBRITRAIRE »

* La disparition, sans nécessité, d’importants vestiges

A la fin des années 1990, disparut le seul bâtiment resté debout sur place ; peu après, des colonnes de l’ancien poste de garde disparurent à leur tour lorsque fut effectué un léger élargissement de la route qu'elles ne gênaient absolument pas.

Le seul bâtiment resté sur le site après la vente aux enchères par les Domaines en octobre 1946.

Les deux colonnes de l'ancien poste de garde, face à l'entrée du camp, côté Panreux.

- D’autres vestiges, aujourd’hui protégés, auraient connu le même sort si l’alerte n’avait pas été donnée quand avait été décidée l’aménagement d’un rond-point au carrefour des deux routes Montreuil/Loudun et Méron/Panreux. Suite à des courriers ciblés, le rond-point a été dévié, puis apparemment déprogrammé.

* La présence d'animaux lourds sur le site

- Un site "vachement" menacé. Bien qu'il soit maintenant classé à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques, les lourdes locataires continuent de hanter les ruines... Une partie du site est maintenant classée "Monument historique".

Une pensionnaire vue de l'ancien gnouf, la cave/prison.

* Des publicités incongrues

Revoir ces panneaux publicitaires « tendancieux » implantés sur le site même du camp. Seuls des rappels dans les médias et dans mes blogs semblent avoir provoqué leur disparition.







* Nul n'est prophète dans son pays...

- Quand quasiment tous les collèges et lycées des villes proches de Montreuil-Bellay, pour ne parler que de ces dernières, m’ont invité une ou plusieurs fois pour évoquer l’histoire de ce camp, je ne le fus jamais dans les murs du collège de ma ville. Par contre, je le fus régulièrement par le Lycée Agricole, mais les élèves viennent pour la plupart de l’extérieur. Ainsi, lors de ma dernière intervention, il n’y en avait pas un seul du canton.

* Ignoré de bibliographies

- L'ingratitude de certains que j'ai aidés parfois pendant des années, leur partageant tout ce que je savais sur cette histoire, témoignages et iconographie, et qui, leur travail terminé, coupent les ponts et disparaissent avec les bénéfices...
- L'absence, dans de nombreuses bibliographies en fin d'ouvrage sur les camps pour Tsiganes, des titres de mes travaux, alors qu'est cité "mon" - excusez l'appropriation - camp de Montreuil-Bellay, le plus important et l'un des plus durs à avoir sévi en France.

Le 30 janvier 2015, Françoise Mingot, éditrice de mon ouvrage sur le camp - actuellement la 4ème édition - m'explique par mail que je suis le premier responsable de cette absence, encore relevée dans un article de Médiapart ce même jour, à moins que je ne fusse classé dans "et d'autres"... :

Extrait de l'article de Médiapart :  
Année après année, les chercheurs et historiens français, Claire Auzias, Marie Christine Hubert, Emmanuel Filhol,  Henriette Asséo, et d’autres encore contribuent par leurs travaux à nous permettre de mieux connaître cette époque.

Le mail de Françoise :




C’est vrai, mais moi j’ai constaté que vous avez toujours tendu le bâton pour vous faire battre. Dès le procès de plagiat vous avez demandé seulement le franc symbolique (un peu de sous nous aurait aidés par la suite), vous avez distribué à tout va le résultat de vos recherches à ceux qui construisent leur carrière sur leurs publications. N’étant pas universitaire, vous étiez en position faible, il fallait vous protéger mieux... Vous avez laissé Tony faire son film sans m’en informer alors que j’aurais exigé la référence au générique, etc... Les gens sont des prédateurs, et nous avons de faibles moyens, c’est ainsi. Cyrano aussi a été pillé par... Molière. mais comme Cyrano, il nous reste... LE PANACHE ! Et la parole. Ce n’est pas si mal !




- Le pillage anonyme. Retrouver parfois mon travail, mes phrases très reconnaissables - puisque souvent sont même cités des noms de personnes que j'ai sortis de l'oubli - dans des émissions, des études, alors que n'est pas le moins du monde indiqué qu'ils ont été indélicatement "empruntés".

En guise de conclusion

Cette conversation, au cours d'une réunion de travail à la sous-préfecture de Saumur en juin 2008, m'a été rapportée par une personne qui m'a demandé, vu son devoir de réserve, de ne pas citer son nom. Elle reste suffisamment proche de ce que j'ai souvent entendu pour la penser véridique.
Réponse du sous-préfet, suite à une allusion de l'ancien maire de Montreuil-Bellay très embarrassé par mes travaux sur le camp, et qui aurait dit que je n’étais qu’un pseudo historien : Il a fait un vrai travail d’historien, digne d’un travail d’universitaire, et qui a le mérite d’exister. Sans lui, nous ne serions pas là aujourd’hui.

Rideau...

Depuis l'écriture de cette page, les Montreuillais se sont donné - m'ont donné - un nouveau maire plus amène. Merci à eux...