10 févr. 2008

Les collégiens de Bourgueil à Maillé

Ils étaient quelque 80 élèves des classes de 3ème du Collège Pierre de Ronsard de Bourgueil, accompagnés par leurs professeurs à se rendre ce vendredi à Maillé que bordent la voie ferrée Paris Bordeaux et la Nationale 10. Cette proximité est sans doute à l’origine du drame qui ensanglanta le village un certain 25 août 1944. Si pour les Français et leurs livres d’histoire cette date rappelle le seule libération de Paris et le vrai commencement d’une fin de guerre marquée par la chape honnie de l’occupation, il n’en est pas de même pour ce coin de terre tourangelle où la belle pierre blanche d’une maison neuve rappelle l’emplacement d’une autre que les nazis ont incendiée après avoir massacré ses habitants.

Un massacre programmé
Tout semble prouver que cette tragédie a été minutieusement préparée. Nous pouvons en suivre les différentes phases à l’aide de ce plan légendé du village, plan exposé dans la Maison du Souvenir de Maillé., village martyr de Touraine.


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Le jeudi 24 août, vers 19 h, un camion arborant un drapeau tricolore fait halte dans la ferme Jahan au lieu-dit Nimbré [0] quand deux voitures allemandes s’approchent du passage à niveau 193. L’un des maquisards monte dans le camion et pointe le fusil mitrailleur qui y est installé et tire. Des Allemands sont touchés, les autres ripostent. La fusillade dure depuis plus d’une demi-heure quand le camion réussit à fuir sous le feu de l’ennemi. Une tentative de représailles sur les occupants de la ferme ne fait pas de victimes.
Au cours de la nuit du 24 au 25 août, un train de munitions stationne tout près. Les villageois sont réveillés par des bruits de fusillades et de grenades qui explosent.
Le vendredi 25, vers 8 h du matin, Julien Cheippe quitte son domicile à bicyclette pour se rendre à son travail. Il est la première victime, abattu à proximité du Parc d’Argenson [1].
Une demi-heure plus tard, des avions alliés prennent comme cible le convoi de munitions et détruisent l’une des deux pièces d’artillerie [2] – un canon de DCA (de Défense Contre Aéronefs, soit un moyen militaire en vue de protéger contre des attaques aériennes – que l’ennemi a fait venir de Saint-Avertin, dans la banlieue de Tours. La phase d’encerclement du bourg commence aussitôt après. On évalue à environ une centaine d’hommes, le nombre des soldats qui s’adonnent alors au massacre systématique des villageois, aussi bien sur les routes, dans les rues, que dans les propriétés. Des plaquettes incendiaires sont déposées sur certains cadavres pour les faire disparaître. Les animaux ne sont pas toujours épargnés.
Vers 9 h 30, les fermes du Moulin et de la Heurtelière [3] sont en flamme.

A midi un coup de feu à blanc du canon de 88 millimètres installé à mi-pente du plateau de Sainte-Maure-de-Touraine, près de l’écart de Villiers [4], provoque le repliement général des troupes. Les hameaux de la Cigogne et du Pressoir sont en feu [5]. Un silence relatif s’abat sur le village dévasté. En se repliant, des soldats parachèvent leur sinistre besogne.

A 14 h commence la seconde phase de l’opération : le pilonnage du village par le canon de Villiers. Quelque 80 obus dévastateurs s’abattent sur les maisons. Les tirs s’arrêtent vers 15 h 30.

Une heure plus tard, un convoi ferroviaire chargé de troupes et d’une cinquantaine de véhicules stationne en gare de Maillé [6]. Des soldats se dispersent de nouveau dans les rues du village.

Vers 17 h 30, Eugène Bruneau, le maire, bientôt suivi par l’abbé André Payon, parlemente avec le commandant du convoi afin d’autoriser la libre circulation pour secourir les blessés et rassembler les morts. Une demi-heure leur est accordée, mais toute personne aperçue circulant après sera abattue.
18 h marquent la fin du massacre. Dans la soirée et la première partie de la nuit, des coups de feu sont encore systématiquement tirés au passage de plusieurs trains – quatre convois entre 21 h et minuit, selon des rapports de la gendarmerie –, ce qui confirme que le sort de Maillé a été programmé et que les troupes ennemies sont au courant.

Le bilan est lourd : 37 hommes, 39 femmes et 48 enfants ont perdu la vie, la plupart mutilés. Le plus jeune, Hubert Ménanteau, avait 3 mois, la plus âgée, Magdelaine Bruneau, 89 ans.
Sur 60 maisons que compte le bourg, 52 sont détruites.

Le village en ruines.
(Photos Maison du Souvenir)

Le 25 août 1944






Les maquisards qui, de la ferme de Nimbré, ont fait la veille le coup de feu sur des militaires, n’ont pas bougé.

Qui étaient ces Allemands et pourquoi ce massacre ? Il est peut-être plus facile de répondre à la seconde question. Acte de représailles après l’attaque des maquisards contre des soldats et des officiers ? Mais aussi représailles après plusieurs sabotages sur la ligne de chemin de fer dont deux en gare de Mayé ? Mais encore défoulement d’une armée qui n’accepte pas la défaite qu’elle sait maintenant inévitable ?
Si nous savons qui a opéré à Oradour le 10 juin précédent, la division Das Reich avec, dans ses rangs, plusieurs Alsaciens enrôlés de force à l’exception de l’un d’entre eux, les coupables du massacre de Maillé n’ont pas été identifiés en dehors de leur chef, le sous-lieutenant, Gustav Schlueter, commandant du gîte d'étape de Sainte-Maure-de-Touraine chargé de la protection de la retraite allemande de Tours vers Poitiers. Reconnu coupable il a été condamné à mort par contumace le 25 février 1952 par le tribunal militaire de Bordeaux, mais n’a pas subi la sentence puisqu’il ne fut jamais retrouvé de son vivant. Sans doute nombre de nazis fanatiques, mais aussi des soldats peu convaincus si l’on donne crédit à ces paroles rapportées de l’un d’eux : Cachez-vous, camarades pan pan !


Le 27 août, deux jours après le drame, les victimes étaient provisoirement enterrées dans une fosse creusée à la hâte dans le cimetière.
Des communes de l’Indre-et-Loire sont aussitôt au secours des survivants. En octobre, un couple de riches Américains francophiles, Girard Van Barkaloo-Hale et son épouse Kathleen, touchés par l’ampleur du drame, ont demandé à parrainer les enfants du village. L’aide est arrivée dès 1946, sous forme par exemple de tout le mobilier complet de la mairie, de l'équipement de la cantine, d’un terrain de jeux. Mais aussi de jouets chaque Noël. Le 19 octobre 1949, les époux Hale ont font visiter Paris à leurs filleuls. La photo ci-contre les montre au premier étage de la Tour Eiffel (Photo Maison du Souvenir). Une dame se souvient d’avoir mangé sa première entrecôte ce jour-là.
Dès 1945 fut entreprise la restauration du village. Elle dura sept années. Le 25 août, premier anniversaire du drame, le ministre de la Reconstruction, Raoul Dautry, posait la première pierre de la ferme de La Heurtelière.


Le silence de la Mémoire





Gisèle a perdu ce jour-là 17 membres de sa famille (Photo Jacques Sigot)

Une dizaine d’adultes angevins interrogés sur Oradour étaient tous au courant ; aucun ne savait pour Maillé, rapporte Jacques Sigot, historien de l’ancien camp de concentration pour Tsiganes de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire).
Des explications ? La libération de Paris, le même jour, rejeta dans l’ombre le drame tourangeau ; contrairement à ce qui se passa dans le Limousin, on a reconstruit les maisons détruites, reconnaissables à leur pierre blanche partout identique, à l’image de la mairie et de l’école ; les coupables n’ayant pas été retrouvés, il n’y a pas eu de vrai procès, donc pas de dossiers constitués ; la génération décimée s’est tue, on a respecté les disparus, mais cela s’est arrêté là ; personne ne l’a interrogée. Il faut comprendre, c’était difficile quand on a vécu cela. On en savait trop, ou pas assez¸ explique aux collégiens de Bourgueil Gisèle Bourgoin, alors âgée de 9 ans et qui a perdu ce jour-là 17 membres de sa famille. Il a fallu attendre le cinquantenaire pour que les survivants se retrouvent enfin face aux médias dorénavant demandeurs, et 2006 pour que s’ouvre enfin cette Maison du Souvenir où les collégiens de Bourgueil ont pu découvrir les images et écouter les témoignages sur ce funeste vendredi 25 août 1944. Quand Paris fêtait ses héros.


Les collégiens de Bourgueil dans les salles de la Maison du Souvenir en compagnie de Serge Martin, enfant de Maillé le jour du drame. (Photos Jacques Sigot)

L’après-midi, les collégiens de Bourgueil découvraient une autre face sombre de la Seconde Guerre mondiale en écoutant J. Sigot qui leur évoqua l’internement des Tsiganes dans des camps comme celui tout près de La Morellerie, à Avrillé-les-Ponceaux. Internement qui déborda bien au-delà du conflit puisque les derniers nomades ne furent libérés qu’en juin 1946 ! Sujet d’autant mieux écouté que 20 % des élèves du Collège Pierre de Ronsard sont des enfants de Voyageurs.



Les nazis ont pillé, tué, détruit

Le 25 août 1944





Le monument de la Nationale 10. La face ouest, côté village, a été patinée par les intempéries.
(Photos Jacques Sigot)